Défendu par Maître Sapata, le lieutenant du SDIS 33 était entouré de son fils et du commandant dirigeant la caserne Ornano, en uniforme sur ce cliché. Le Figaro /Marie-Hélène Hérouart
La semaine du Figaro Bordeaux
Publié le 04/04/2023 à 19:32 , mis à jour le 06/04/2023 à 10:29
Jugé mardi au tribunal judiciaire de Bordeaux, l’automobiliste Azis B., qui a sciemment renversé un pompier en exercice, a été condamné malgré «ses remords».
«Il fallait juste s’arrêter cinq minutes pour mettre en sécurité mon personnel. Ce n’est pas le bout du monde.» Trois jours après sa violente agression, le lieutenant du SDIS 33 est encore sous le choc. S’avançant en claudiquant à la barre pour témoigner en raison d’une douleur au genou due à l’attaque, le pompier – qui exerce depuis 1980 – l’assure au tribunal de Bordeaux : «J’ai eu une longue carrière, des opérations difficiles, mais là je ne comprends pas.» Une sidération toujours de rigueur, même après que son agresseur a été condamné à lui verser 2000 euros. Coupable de «violences aggravées par l’usage d’une arme», Azis B., qui a reconnu les faits, a écopé d’un an de prison. Il l’effectuera pour la première moitié à domicile, sous bracelet électronique, et pour l’autre sous la forme de six mois de sursis probatoire. Une peine assortie de la perte de son permis de conduire avec interdiction de le repasser dans les six prochains mois, d’une peine d’inéligibilité de 5 ans, d’une obligation d’indemniser sa victime et de se former, et d’un stage de citoyenneté.
Retour sur les faits. Ce samedi à 1h56, Azis B., qui conduisait une BMW prêtée et en règle, a sciemment choisi de redémarrer alors que le soldat du feu lui parlait du côté de la fenêtre passager, la main appuyée sur le capot. «J’ai senti qu’il voulait à tout prix passer, j’ai réitéré ma demande plusieurs fois», se remémore celui qui commandait l’extinction d’un feu de poubelles se propageant sur la façade d’une maison route de Toulouse à Bordeaux. En vain. Le prévenu, «pressé de rentrer chez lui après avoir fêté la rupture du jeûne du Ramadan», s’impatiente. Le quadragénaire, qui assure «qu’il était dans un état d’esprit bienveillant» et sobre, l’a alors renversé et projeté au sol avant de prendre la fuite sans se retourner. Trois jours d’ITT ont été diagnostiqués au pompier, âgé de 63 ans, qui s’est constitué partie civile. La vidéo d’un témoin avait aidé à confondre l’automobiliste qui disposait de 12 points sur son permis de conduire. Selon nos sources, un peu plus tard dans l’intervention, une autre dame forçait le passage sans faire de blessé.
Pour les cinq minutes où il n’a pas voulu attendre, Bernard S. va devoir prendre le temps de guérir physiquement et psychologiquement
Guillaume Sapata, avocat du pompier agressé
«En partant, je me mettais des claques, je voulais y retourner. C’est la deuxième erreur que j’ai faite (ce soir-là, NDLR)», affirme le quadragénaire dans le box des accusés. La première ? «L’idiotie, c’est de vouloir passer et dépasser cette zone à risque. En voyant les flammes, je me suis dit que j’étais en danger, c’est la plus grosse erreur de ma vie», jure Azis B.. Dès sa première prise de parole, le prévenu s’est confondu en excuses. «Je ne voulais pas vous faire du mal», a-t-il regretté, un trémolo dans la voix en regardant sa victime, «je subis des remords depuis quatre jours. Je suis d’une stupidité sans nom et j’ai bafoué mon code de l’honneur». Un mea culpa appuyé «d’excuses envers les sapeurs-pompiers qui sont utiles à ce pays», qui ont fini par agacer le principal intéressé.
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«Incompréhension» générale
Maître mot du procès «l’incompréhension» a été sur toutes les lèvres, dans les deux camps. «“Ça m’énerve”, vient de me dire Bernard S. en entendant à nouveau les excuses d’Azis B.. La réponse qu’il apporte, je n’y crois pas une seconde. Pour les cinq minutes où il n’a pas voulu attendre, mon client va devoir prendre le temps de guérir physiquement et psychologiquement», a tonné l’avocat du pompier. Pour Maître Sapata, le prévenu a agi ainsi «parce qu’il pensait que ça allait passer».
Le parquet souscrit à ce discours : s’il s’est présenté au commissariat après avoir été appelé dimanche matin, cela ne suffit pas à témoigner de la bonne foi d’Azis B.. Alors qu’il avait prévenu l’ami lui ayant prêté la voiture de «l’incident», il lui faut «plus de 24 heures» pour se livrer. Et «s’il ne l’avait pas fait, il n’aurait fallu que quelques heures supplémentaires à la police pour le retrouver», a souligné le parquet de Bordeaux. Le Ministère public a ainsi requis 15 mois de prison, dont neuf avec sursis, tandis que la partie civile demandait 2500 euros au titre de son préjudice et le remboursement de ses frais de justice.
Dans ce dossier, qualifié de «surréaliste» par l’avocat de la défense, rien ne permet de justifier l’action d’Azis B.. D’habitude, «une absence de permis, d’assurance, la consommation d’alcool ou de stupéfiant, bref quelque chose à cacher» conduit un individu à agir de la sorte, s’est avancé Maître Henri Gata. Selon lui, son client «a vrillé» à la mort de son père, il y a trois ans. Depuis, après «une faillite» et trois condamnations financières en Belgique, notamment pour «abus de biens», le quadragénaire au RSA s’occupe de sa mère «gravement malade» en Gironde.
«Il aurait dû faire demi-tour, rester sur place, attendre les forces de police», a encore reconnu le membre du barreau de Bordeaux en plaidant pour ne pas alourdir la peine d’un homme dont «les remords ne sont absolument pas feints». À la sortie du tribunal, alors que sa victime n’y tenait pas, celui qui venait d’être condamné l’a d’ailleurs attendue pour réitérer ses excuses.
Mais d’après l’échange entendu par Le Figaro, l’heure du pardon n’était pas encore venue. Azis B. devra patienter.